Parasitage [Hinata]

La Lexus pénétra dans le garage résidentiel. Les deux protagonistes en sortirent silencieusement. Aucun mot n'avait été prononcé par le designer durant le voyage, et bien évidemment aucun non plus par son androïde qui avait promis de ne pas trop attester de sa présence. Setsua s'en sentait presque coupable. Mais il était hors de question de changer les choses. C'était un coup à se retrouver enchaîné à un robot collant et capricieux...

Nouvel ascenseur. Nouveaux couloirs. Cette fois dans les tons vert émeraude. Un immeuble assez classe, bien qu'un peu en marge du centre du quartier. La porte s'ouvrit sur un hall blanc. Le propriétaire des lieux accrocha manteau et chapeau. Puis inséra sa carte dans une fente située à côté de la porte. Aussitôt l'appartement s'illumina. La lumière blanche reflétée par des miroirs élégamment cadrés et les motifs argentés de la tapisserie.

- Bienvenue chez moi, annonça-t-il avec ce qui voulait être un sourire accueillant, mais qui était plus gêné qu'autre chose. Ah, ne bouge pas! Il faut que je te présente quelqu'un!

Ca faisait une éternité qu'il n'avait pas mis les pieds ici, mais Setsua savait qu'elle n'avait pas dépéri de faim ou d'ennui. Et sage comme elle l'était, aucun risque de voir le mobilier abîmé. Setsua disparut dans un couloir, puis réapparut avec dans les bras une petite créature au pelage noir et aux grands yeux entièrement bleus. Celle-ci semblait avoir été soudainement sortie de son sommeil et ronronnait encore dans les bras de son maître. Savant mélange entre un renard et un chat. Mais plus beau que les deux réunis.

- Elle s'appelle Jill. C'est moi qui l'ai créée. Elle te plait? demanda-t-il avec un sourire.

A la question de l'androïde, Setsua sortit la tête de l'armoire. Prêt à lancer une fois de plus une remarque acerbe du genre "si tu pense connaître mon appart' mieux que moi, te gêne pas!", il resta muet en posant les yeux sur le corps presque nu du robot. Y avait pas à dire, la technologie faisait vraiment des merveilles. En particulier ce modèle qui aurait pu faire craquer n'importe quel être, humain ou bionique, homme ou femme. Aussi le designer retourna vite à son occupation, bien que cela ne soit d'aucune utilité. Il referma son armoire une fois toutes ses idées remises en place. Puis il regarda la petite brosse en souriant de sa propre bêtise. Il n'était plus habitué à avoir un androïde chez lui. Il alla reposer le sachet dans la salle de bain et se glissa rapidement sous ses draps. La pièce était tout juste assez chauffée. Une fois installé, il pianota sur sa table de nuit. Aussitôt une projection holographique de son dernier projet apparut en trois dimensions.

- Regarde, Hinata... murmura le designer. Dans ses yeux brillaient la fierté et la satisfaction du travail bien fait. C'est Yuuna. Un jour il sortira de Shibuya Love Corp. et sera le premier prototype d'une toute nouvelle lignée d'androïdes.

Tout signe de fatigue pouvait disparaître instantanément lorsque le créateur parlait de son œuvre, lorsqu'il la regardait, ou même simplement lorsqu'il y pensait. Cette passion pour l'esthétique. Ca le rendait dingue. Et ce n'était que le début. Déjà le cinquième essai qu'il faisait, mais même si le résultat était magnifique il restait un bémol. Certes les motifs des iris étaient à réinscrire. Mais ce n'était pas ça... Setsua lui trouvait encore des airs connus. Cette impression désagréable que ce qu'il avait perdu le hantait. Son regard perdu dans la contemplation de Yuuna... son esprit hypnotisé par des souvenirs confus mais pourtant trop clairs. Il finit par en avoir la nausée. Ses jambes maigres le portèrent jusqu'à la salle de bain. Ne sortit qu'un mélange de bile et de sang. Comme d'habitude. Il repensa aux résultats des examens. Cachés dans son bureau. Il n'en avait parlé à personne, pas même à Aiji. Il lui fallait faire vite. Trouver une autre solution. Modifier et remodifier Yuuna jusqu'à atteindre la perfection, ou tout recommencer...

Il se rinça la bouche. Nettoya rapidement le lavabo. Revint à sa chambre. S'effondra sur son lit. Le sommeil avait fini par avoir raison de sa volonté. Au dessus de sa crinière noire flottait la silhouette de Yuuna. Impassible. Silencieuse.

Au lever, la lumière du soleil lui brûla la rétine. Cruel réveil qui le fit retrouver refuge sous sa couverture en un clin d'oeil. Et ce n'est qu'après maints grognements, soupirs, bougonnements et autres borborygmes à peine vocaux qu'il daigna émerger. Il souleva avec peine son buste pour explorer la pièce du regard, et trouva comme prévu le ventre d'Hinata occupé par Jill qui se croyait décidément tout permis. Il se laissa retomber sur son oreiller. Rien à faire il ne trouvait pas la motivation pour se lever. Mais malheureusement pour sa grasse matinée, une mélodie électronique lui fit renoncer à tout espoir de se rendormir. Dans un élan d'irritation pour que de bonne volonté, il s'extirpa des couvertures et bondit hors de la chambre. Dans le salon comme dans toute la maison, la lumière du soleil s'était allègrement diffusée. A tel point que la poussière qui flottait dans l'air se voyait particulièrement. Une journée ménage s'annonçait. Mais pour le moment il lui fallait lire ce putain de message.

J'suis là dans 5 minutes.
J'ai fait des courses.
Aiji

Setsua eut à peine le temps de pousser un soupir que la sonnette retentissait dans la maison. C'était trop de bruit pour un si dûr réveil. Sans compter qu'Aiji n'arrivait vraiment pas au bon moment. Il consentit tout de même à ouvrir la porte. D'une parce que ça ne se faisait pas de laisser son voisin et meilleur ami dehors, et de deux parce qu'il avait la bouffe.

- Heeey, champion!

Le stagiaire sauta dans les bras de son ami et le serra joyeusement dans ses bras.

- Salut...
- Alors, comment s'est passée ta première nuit chez toi? T'as reconnu l'appart' au moins?
- Ca va, j'ai bien dormi. J'aurais préféré un peu plus mais bon...
- Ah, je t'ai réveillé? Gomen. Bon allez! P'tit dèj!

Sans la moindre gêne, le jeune garçon posa sur la table de la cuisine ses deux sacs pleins à craquer. Il sortit des boîtes de viennoiseries, des gâteaux secs et des pots de confiture (à la vue desquels Setsua fut surpris de remarquer que cette marque avait été déclinée dans autant de parfums différents). Rangea le reste dans le frigo et les placards. Sortit deux bols et une bouteille de jus multifruits. Setsua l'imita et mordit dans un croissant pendant qu'Aiji en tartinait un autre de confiture de banane au sucre roux.

- Jill! Hinata!
- Hinata...? C'est qui ça?
- C'est, euh... compliqué en fait...
- Me dis pas que...

- Oh putain... lâcha Aiji en affichant des yeux gros comme des soucoupes.

Aussitôt, le designer l'arrêta. Assez paniqué, il fallait l'avouer, ce qui ne le rendait pas plus crédible.

- Non, c'est... c'est pas ce que tu crois! Il s'est rien passé! J'en voulais même pas de ce truc, c'est mon supérieur qui me l'a offert en guise de promotion.
- C'est ça, c'est ça... petit veinard.

Le jeune informaticien laissa son croissant en plan et se leva pour inspecter celui qu'il soupçonnait être le nouvel amant de son meilleur ami. Il laissa un regard envieux parcourir le corps entier du robot.

- T'as pas dû t'ennuyer cette nuit, mon salaud.
- J'te jure que j'l'ai pas touché! C'est totalement stupide, tu sais très bien que... NE LE TOUCHE PAS.

Sa voix hésitante et sa difficulté à trouver les bons mots disparut en un clin d'oeil. Ces mots-là avaient résonné avec l'assurance et la froideur d'une menace. Il dardait à présent sur son ami un regard noir. Aiji retira ses mains des hanches de la machine et les leva à hauteur de sa tête.

- Hé, du calme! C'était juste pour jeter un oeil, pas la peine de t'énerver... Bon, je pense qu'il vaut mieux que j'y aille. On s'appelle!
Setsua ne répondit rien. Il continua de fixer Aiji avec fermeté jusqu'à ce qu'il s'en aille. Ce n'est qu'une fois la porte fermée qu'il se détendit. Un silence pesant était retombé. N'osant regarder l'androïde droit dans les yeux, c'est en contemplant le parquet flottant qu'il s'adressa à son nouveau compagnon.

- Je... c'est... Oh et puis quelle idée de te pointer dans cette tenue aussi! T'es complètement inconscient ma parole! Et mal élevé de surcroît.

Cette fois il était parvenu à planter ses yeux noirs dans ceux de Hinata. Mais aussitôt son reproche terminé, il reprit place à table. Retournant dans ses confitures et ses pâtisseries. Il grogna même à l'attention de Jill lorsque celle-ci sauta la table pour se frotter à son bras, et la repoussa assez sèchement.

- Je suis calme! lança-t-il à l'androïde qui était déjà parti s'habiller.

Bon, on pouvait relativiser. C'est vrai qu'il n'était pas particulièrement un modèle de sérénité à cet instant, mais par rapport à d'autres -bien antérieurs à l'arrivée de Hinata- il était très, très calme. Avec le temps, les emmerdes à répétition et les déception, on apprend à se maîtriser. Et au final, même si la construction d'une barrière pour protéger ses émotions est inévitable, on prend sur soi et on avance. On oublie ceux qui nous ont déçus, et on fait comme si tout ça n'était jamais arrivé et comme si on était la personne la plus impassible du monde. Le café lui brûla la gorge. Il resta un moment à regarder sa tasse vide. Quelle idée... avoir laissé cette chose passer le pas de sa porte. Cette saloperie de machine à laquelle on ne peut pas se fier. Qui observe tout, enregistre tout. Cette intelligence artificielle qui ne sera jamais assez perfectionnée pour vous aimer réellement, et qui coucherait avec n'importe qui lui en donnant l'ordre. Cette forme de vie à la fois ultra-sophistiquée et infiniment primitive à laquelle les sentiments humains sont complètement étrangers et qui peut, au mieux, tenter de les simuler. Il s'était juré de ne plus se laisser avoir par ce genre de racolage des temps modernes. Il avait assez donné. Trop donné. Et au final rien récupéré. Ses mâchoires se serrèrent. Il jugea bon de faire un peu de rangement dans sa cuisine. Ca lui permettrait de se calmer. De ne pas craquer. La tasse n'eut pas le temps d'arriver jusqu'au lave-vaisselle. A peine avait-il fait quelques pas que le designer fut pris d'une violente quinte de toux. La porcelaine se fracassa sur le carrelage. Et le corps de l'humain s'affaissa. Nouvelle hémoptysie. Plus abondante cette fois. Le carrelage blanc se teinta de rouge. Quelques morceaux de céramique allèrent se ficher dans une main posée au mauvais endroit par inadvertance, puis dans un buste agité par les convulsions. Setsua laissa échapper un cri de douleur. Mais cela n'arrêta pas la toux. Il s'en étouffa. Ce n'est qu'au bout d'une bonne minute que tout cessa. Le corps tremblant du designer resta à même le sol. Trop fatigué pour se relever. Sa respiration saccadée provoquait des douleurs insupportables là où les bouts de porcelaine s'étaient plantés. Mais il ne broncha pas. Il mit ses deux mains au sol, y compris celle qui était déjà sévèrement amochée par les morceaux de céramique, et se redressa tant bien que mal. Le dos courbé, ses longs cheveux noirs devant ses yeux, il s'accouda au rebord du plan de travail. Reprit sa respiration.

[Pardon pour le retard mais comme j'étais pas Paris ce weekend >_<]

Hinata n’avait à la base aucune intention de retourner à la cuisine avant que Setsua ne soit calmé mais les bruits qu’il avait pu entendre ne l’avait pas vraiment rassuré et il y retourna malgré tout.
Là, il pu voir son possesseur assez mal en point sans parler du reste.
Il n’allait pas rester là sans rien faire et laisser le brun aussi mal en point, sinon de quelle utilité serait-il au final ?
Doucement, il le fit sortir de la cuisine, l’installant sur le canapé avant de le laisser quelques instants pour aller chercher de quoi le soigner convenablement.
Laisser les plaies ouvertes de cette façon n’était pas bon et puis il fallait surtout enlever tous les morceaux de porcelaine qui étaient allés se loger dans sa peau.
Lorsqu’il revint, Hinata commença par s’occuper de ses mains, retirant délicatement les morceaux un à un et vérifiant qu’il ne restait rien dans les plaies pour finir par les désinfecter.
Il n’était qu’une machine mais l’état de santé de Setsua l’inquiétait et il lui posa alors une question à laquelle il pu avoir une réponse mais à vrai dire, elle ne faisait que confirmer ce qu’il avait pu observer depuis la veille : l’humain ne s’occupait de rien d’autre mis à part son travail…

"Justes quelques défaillances…"

Répétât-il doucement.
Qui pouvait croire de telles choses ? Un robot ? Après tout il n’était qu’une machine n’est-ce pas ? Pas de sentiments, donc moins de possibilité de comprendre certaines choses. Ce n’était pas vraiment faux au fond, mais il ne faut pas croire qu’il n’apprend pas vite certaines choses.
Le sang qui se retrouva dans l’autre main de son maître, le blond le nettoya avant de le laisser s’allonger pour qu’il puisse continuer à le soigner, lui donnant une indication.
Hinata hocha la tête et prit soin de se faire encore plus délicat que tout à l’heure lorsqu’il retirait les morceaux de la tasse.
Mais par contre il ne pouvait rien faire contre les effets de l’alcool mis à part peut-être passer rapidement le coton le temps que Setsua ne s’habitue.
Une fois cela fait, il posa quelques pansements qu’il changerait le lendemain histoire d’éviter infections et autres désagréments du genre.
Jetant un coup d’œil au brun, il décida de le laisser un peu tranquille allant ranger les affaires dans la salle de bain pour ensuite s’occuper de nettoyer la cuisine.